Postes à responsabilité : La féminisation en marche

Si les textes de loi font la promotion de l’égalité hommes-femmes en entreprise depuis les années 80, certaines mauvaises habitudes ont encore la vie dure, surtout aux postes de responsabilité. Malgré tout, depuis dix ans, leur féminisation s’est accélérée.

Il y a les textes, et la réalité du terrain. Si les gouvernements français successifs ont tous poussé vers davantage d’égalité hommes-femmes depuis la fameuse loi n° 83-635 du 13 juillet 1983 sur l’égalité professionnelle, ladite égalité a surtout concerné les postes les moins élevés dans la hiérarchie des entreprises. « La priorité de la politique d’égalité a longtemps été l’égalité professionnelle, clé de l’autonomie des femmes pour leur émancipation, explique Sandrine Dauphin, directrice des Relations internationales et des Partenariats à l’Institut national d’études démographiques (INED). Cette politique s’est d’abord constituée autour d’un important volet de lutte contre les discriminations à l’embauche et dans les conditions de travail : mixité des emplois, égalité salariale, accès des femmes aux responsabilités. »

« L’accès des femmes aux responsabilités ». Comme si elles étaient moins compétentes ou enclines à y aspirer. Les très grandes entreprises font encore figure de mauvaises élèves : seulement trois entreprises cotées au CAC40 sont dirigées par des femmes, et 14 parmi les 120 plus grandes entreprises françaises. Pourtant, les progrès enregistrés ces dix dernières années – depuis la loi Copé-Zimmermann – sont remarquables : la France est aujourd’hui championne du monde de la féminisation des conseils d’administration, avec un taux de 45,7%. Dernière grande loi en date, la loi Rixain de décembre 2021, a fixé un nouveau cap, créant « une obligation de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes des grandes entreprises, accompagnée d’une obligation de transparence en la matière ». Objectif désormais : atteindre, en 2029, au moins 40% de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises d’au moins 1000 salariés.

L’inclusion dans tous ses états

L’inclusion et la diversité dans les entreprises passent à la fois par la pluralité des origines des collaborateurs et par la féminisation du personnel, à tous les étages de l’édifice. « La diversité est un élément qui ressort lorsque l’on fait une enquête auprès de nos collaborateurs, et c’est une des valeurs que nous mettons incontestablement en avant, car c’est une véritable richesse pour l’entreprise, avance Sylvie Kroutinsky, directrice des Ressources humaines chez Kalhyge, l’un des leaders français de la blanchisserie industrielle. Il y a une majorité de femmes dans nos équipes, que l’on retrouve à tous les échelons de la hiérarchie. Notre index d’égalité homme-femme est particulièrement satisfaisant, puisque nous avons un score de 93% sur les unités de production, et de 99% au siège. Kalhyge porte donc cette volonté d’inclure le maximum de personnes, car de cette diversité, naissent la richesse, l’échange et la performance. » Dans cette ETI (entreprise de taille intermédiaire) de 3000 salariés, l’inclusion voulue par la direction a été mise en place en partenariat avec les syndicats CGT et CFE-CGC et CGT-FO et CFDT, dès 2018. L’accord couvre toutes les dimensions de l’égalité hommes-femmes : l’accès à l’emploi, la formation professionnelle, la promotion professionnelle, l’égalité de niveau de rémunération, l’égalité de traitement entre les salariés à temps partiel et à temps complet, ainsi que la santé, l’équilibre travail/domicile et les responsabilités familiales. Ici, l’égalité est réelle et très concrète.

Dans de nombreuses entreprises en effet, la féminisation est l’un des piliers des politiques d’inclusion, au même titre que la promotion de la diversité. Le bailleur social Batigère – qui a été le premier à obtenir le label Égalité et Diversité – est lui aussi fortement engagé dans cette démarche d’inclusion. « Cela se traduit par une mobilisation sur différents thèmes comme la diversité dans les métiers, l’accès des jeunes dans l’entreprise, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes, l’emploi des salariés en situation de handicap, la lutte contre le harcèlement, les dispositifs d’écoutes psychologiques et d’accompagnement, les cellules anti-sexisme, anti-discrimination et anti-corruption…, détaillent Cécile Roussel, directrice générale d’une des filiales du groupe Batigère, et Reynald Faget, directeur général adjoint en charge des RH. Nous menons également une politique de recrutement et de mobilité interne visant à améliorer la mixité des métiers, et plus particulièrement à renforcer la place des femmes dans la gouvernance des structures, jusqu’au top management. »

Mais dans de nombreuses entreprises françaises, le diable se cache aussi dans les détails : tous les postes de direction ne mènent pas au top management. « Aujourd’hui, un directeur commercial ou un responsable des finances est souvent propulsé à la direction générale​, observe Sylvie Girbal, spécialiste de l’égalité professionnelle au sein du cabinet Willis Towers Watson. C’est moins le cas d’une directrice de la communication ou des ressources humaines, qui sont des postes très féminins. Il faut d’une part travailler sur la mixité de ces fonctions, et d’autre part faire monter des profils différents aux postes à responsabilité. »

La féminisation professionnelle ne se limite donc pas à placer telle ou telle candidate à un poste défini, pour entrer dans les clous de la loi. Elle induit également un changement de regard sur le parcours professionnel et sur ses différentes étapes. « La loi Copé-Zimmerman de 2011 a eu pour effet d’introduire dans les conseils d’administration des administratrices qui ne siégeaient ni au comex, ni au codir, ce qui a interpellé certains PDG et les a poussés à demander que l’accent soit mis sur le développement des femmes, remarque Brigitte Lemercier, fondatrice du cabinet de chasseurs de tête NB Lemercier. De plus en plus, les choses changent aujourd’hui. Dès lors qu’une entreprise reconnaît et tient à garder un talent féminin, elle est prête à attendre le temps nécessaire. »

Des progrès encore à faire

Les choses changent également sur un autre front : celui des métiers autrefois genrés, principalement réservés aux hommes. C’est le cas par exemple dans un secteur en développement permanent en France : la logistique, où les femmes sont encore largement sous-représentées. « Dans le secteur de la supply chain, les fonctions manutentionnaires et logistiques comptent moins de 10% de femmes, déplore Agnès Damette, présidente de Logitrade. A contrario, 9 salariées sur 10 occupent des fonctions où les missions de relationnels clients prédominent. En dépit d’une évolution des métiers et une voie vers leur féminisation, la supply chain reste majoritairement masculine et cela s’explique parfois par des problématiques d’image de marque provoquant une baisse de l’attractivité pour les profils féminins. Selon l’enquête de Gartner en 2020, les femmes sont « sous-utilisées dans la soi-disant guerre des talents » puisque seulement 17% occupent des postes de direction et 13% des postes de cadres dirigeants. Chez Logitrade, la part belle est faite à la parité avec 70% de femmes parmi nos collaborateurs et une gouvernance à 50% représentée par des femmes. » Comme quoi les lignes peuvent bouger, même dans ces corps de métier dont l’image machiste a la vie dure.

De manière générale, les entreprises l’ont bien compris : leur politique de RSE (responsabilité sociétale des entreprises) doit faire la part belle aux femmes, en bas comme tout en haut de la pyramide. La loi Rixain va chambouler la donne, avec son quota de 40% à l’horizon 2029. Si les détracteurs de la politique des quotas s’offusquent, cette loi permettra de faire éclore une nouvelle génération de femmes dirigeantes. « Quand on ne légifère pas, on trouve des excuses. Quand on légifère, on trouve des femmes », se félicitait Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE). Le monde du travail ne peut que s’en réjouir.

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